Barbotan-les-Thermes, août 2008

barbotan

Vive la cure !


Je barbote à Barbotan, et j’aime ça !
Victor Hugo

Pour charmer ta langueur, ô temps qui nous dévastes,
Je veux, pour quelques vers, alexandrins trop chastes,
Servir aux amateurs un plat à ma façon.
(Je suis meilleur mitron que ne fais le maçon.)
Des désirs un peu sots, des projets un peu bêtes
Et quelques souvenirs stupides mais honnêtes
Composeront les plats de ce qu’on va manger.
Ô Muse donne-moi ton la le plus léger,
Et chantons notre gamme en notes bien égales,
A l’instar de Verlaine, à l’instar des cigales.

Voilà, déjà l’année est à moitié de course !
Le temps passe à grand train sous l’œil de la Grande Ourse.
J’attends mon tour parmi les vieux, les éclopés,
Entouré que je suis de mémés, de pépés.
Dans Barbotan la Jaune, une faune usagée,
Vêtue à l’identique, erre désagrégée
En peignoir rouge et blanc… On dirait des fourmis.
Sauf qu’ici, si l’on veut s’arrêter : c’est permis.
Il y a les anciens, habitués aux Thermes,
Qui vont d’un soin à l’autre, assurés, d’un pas ferme.
Certains sont bien plus lents, sûrs d’arriver à temps
(Alors pourquoi courir ?) au soin qui les attend.
Mais il en est, pourtant, qui se trainent, limaces,
On les sent mal en point à travers leurs grimaces.
A leur errance inquiète, on reconnaît les bleus,
Ils ont l’air hésitant, timides et frileux.
Comme le blé doré redevient de la paille,
Nous avons tous, un jour, été de la bleusaille.
Mon premier soin de la journée est arrivé :
Je suis nu, je suis prêt pour le bain activé.
Dans la baignoire, seul, je glisse dans l’eau chaude
En rêvant, les yeux clos, d’une mer émeraude.
Dix minutes de calme et de repos des os…
Ô combien, dans nos bains, sommes-nous de zozos ?
- Tout va bien ? lance-t-on par la porte entre ouverte.
- Tout va très bien, réponds-je avec une voix verte.
Dans un glouglou strident, le vide aspire l’eau,
L’avale, l’engloutit, la renvoie au ruisseau.
C’est terminé. Je me redresse et je me sèche
Tout le corps, sans oublier ma petite mèche.
J’enfile mon maillot car point de nudité
Dans la piscine : il faut garder moralité !
J’enfile mon peignoir et je quitte la place.
- Au revoir, à demain, jettè-je dans l’espace.
Autre soin, autre lieu : douche sous immersion.
En piscine d’eau chaude, on subit la pression
D’un jet, mais attention, trop près point ne faut être !
- Vous êtes bien trop près, reculez ! – C’est fait, maître.
Nous somm’s une vingtaine, et c’est donc la raison
Pour laquelle le corps se doit d’être en prison.
La chaude aqueuse main nous masse et nous transporte…
Nous somm’s une vingtaine à jouir de la sorte.
Encadré d’une vieille et d’une autre un peu moins,
Très consciencieusement, et selon mes besoins,
J’applique sur mon dos le frénétique jet.
Haut, bas, côté, milieu, ne restons pas figés !
Trois messieurs en retard, à ma gauche voisine,
Arrachent quelques mots et dit, courbant l’échine :
- Pour arriver si tard, ils étaient au bistrot !
Puis retourne au silence, épais comme un sirop.

Le dimanche trois août. On fait halte à Mézin.
Nous faisons le marché : no pêche et no raisin,
Mais du melon, de la tomate et du fromage.
- Il n’y a pas grand monde, assène un type hors d’âge.
Fourcès est un village, une bastide en rond.
Des bastides du coin, c’est un peu le fleuron !
Puis ce fut Montréal, Valence-sur-Baïse,
Séviac et sa Villa que Rome un temps balise,
L’abbaye de Flaran, haut lieu du religieux…
Abbaye cistercienne au passé litigieux,
Ô bâtisse dressée il y a mille années,
Alors que la Nation n’était pas même née !
C’est par Fleurance en Gers qu’on termine ce tour
Des vieux cailloux. On rentre pour la fin du jour.

Lundi, c’est reparti. En premier, la baignade
Et son activation. Couloirs et cavalcade.
Je suis nu dans mon eau. Je rêve détendu
Assailli par des sons, un souvenir indu…
Mailloté, je rejoins, en piscine, mon groupe,
Pour les jets forts et chauds, dans une odeur de soupe.
La vieille d’à côté : - Y’a problème, on dirait.
En effet, des nouveaux, plantés comme cyprès,
Ne savent où aller, mais intervient l’hôtesse
Qui sait bien les placer et calmer leur détresse.
La douche pénétrante : un jet mobile et chaud
Sur toute la colonne, qui va de bas en haut
Et puis de haut en bas. Un jet sur la cheville
Aussi, mais immobile. Ô l’eau qui nous mordille !
C’est un bien-être humide et rempli de bienfait
Qui s’abat sur mes os et me fait de l’effet.
Ô fugaces moments des douches pénétrantes
Où mon corps se détend sous les gouttes mouvantes !
Je me lève et me sèche, et nu sous le peignoir,
D’un pas leste et joyeux, je file vers l’or noir :
La boue et bain de boue et tiédeur de la boue !
Ô boue d’un autre temps, le curiste te loue.
Ô boue, âme vivante et noire de la terre !
Boue intangible et noble, effaceur de misère !
Que serai-je sans toi qu’un squelette piteux,
Qu’un tas d’os pitoyable aux joints calamiteux ?
La boue aisément tendre entre nos doigts se joue.
On ne peut qu’être nu lorsqu’on baigne en la boue.
C’est une jeune femme, au visage émacié,
Qui s’occupe de moi, et sa façon me sied.
Allongé sur le dos, sexe à l’air, je patiente
Qu’elle vienne couvrir mon corps de cette fiente.
Le temps passe et c’est l’heure, il faut toujours partir.
Mais avant de quitter où l’on aime à languir,
Il faut se nettoyer, se blanchir l’épiderme,
Se dénégrituder, bref, se récurer ferme.
Et douze jets d’eau chaude effacent en douceur,
Avec empressement, la boue et sa noirceur.
On s’en va, corps léger, vestiaire et rhabillage,
On retrouve l’air pur d’un Barbotan trop sage.

Barbotan, Barbotan, nous eûmes le beau temps,
Chaleur et grand soleil, ciel bleu de Barbotan.
Mais le cinq août pourtant, on a subit l’orage,
La pluie et les éclairs, naturel arrosage…
Le lendemain matin, le ciel d’azur était
Revenu, plus soyeux, beauté des ciels d’été.

Mon corps, unique lieu de rêve et de raison,
Asile du désir et des sens à foison,
Et par qui tout est mort dès le moment qu’il cesse,
Mon corps, je te câline et combats ta détresse.
Et le bain activé, la douche pénétrante,
Le jet puissant… c’est reparti comme en quarante !
Ainsi tous les matins, de dix heur’s à midi,
Sans oublier la boue, illutation qu’on dit.
Le bain de boue où, nu, je me sais angélique,
Est un moment précieux, unique et sympathique.
Je croise tous les jours, dans ces couloirs blafards,
Un homme bedonnant dans son peignoir, sans fard,
Lequel me fait penser au beauf’ dedans Mon Oncle,
Dégarni de la boîte et tronche de furoncle,
Parlant toujours très fort avec deux autres gars,
Et fait çui qui, des os, ignore les dégâts.

Le sept au soir, c’est carcassade à Montréal,
Une attente sans fin, une faim de chacal.
Du canard ! Du canard ! On veut s’emplir la panse !
Aux sons de la fanfare, on balance en cadence.
Banda des Kanari’s ! Teeshirt et gonfanon :
Ils l’ont écrit partout : C’est leur nom, nom de nom !
Ils ont de quinze à soixante-dix ans, les partoches
Accrochées à leur bras. L’air s’enfle de leurs croches,
Résonne sous l’arcade où nous sommes assis.
Y’a des filles, beaucoup, belles… moches aussi.
C’est joyeux, entrainant, ça swingue et ça balance…
Voilà que des canards, la carcasse s’avance.
A pleines mains, à pleines dents, le regard clair,
On boulotte enchanté tous les lambeaux de chair.

Et le huit au matin, nous retournons aux thermes
Pour d’l’ostéoporose assassiner les germes.
La vieille rigolote, aujourd’hui, n’est plus là.
La moins vieille non plus. Ça dégage, holà la !
Deux autres vieilles peaux ont investi leur place.
A ma gauche, la dame était inefficace
A se servir des jets, j’ai dû tout expliquer.
Pute borgne ! C’est pourtant pas bien compliqué !
Y’en a un qui ressemble un peu à Galabru,
Grande gueule, vieux laid, le verbe fort et cru.
Il est une curiste, aveugle à ce qu’il semble,
Grande brune élancée et dont la chair ne tremble.
Son maillot transparent laisse voir ses gros seins :
Réjouissant spectacle ! Ô traîner à dessein
Pour croiser cette dame et jouir de la vue.
Hélas, depuis hier, je ne l’ai point revue !
Quand la cure est finie, on retourne au logis.
C’est ainsi que le temps du curiste est régi.

Samedi neuf : Mont-de-Marsan, ville landaise.
On promène, on visite et l’on soupire d’aise.
Oui, mais auparavant, nous avions visité
Labastid’ d’Armagnac, splendide en vérité !
Le soir, pic-nic devant l’église de Lagrange ;
Le cadre magnifique embellit ce qu’on mange.
Dimanche neuf. Dans les jardins de Coursiana,
Parmi les arbres et les fleurs, c’est gymkhana.
L’air est pur, embaumé par toutes les essences,
Soleil est de la fête, on profite, tu penses !
Tilleuls, pommiers, pruniers, chênes majestueux…
Les yeux écarquillés, du vent dans les cheveux,
Je découvre ce parc où bruissent les sylphides.
On est loin des urbains et des villes avides.
Ô lieu presque aussitôt regretté que quitté,
Mais la faim nous enjoint à venir banqueter !
La ferme auberge au tendre nom de Chèvrefeuille
Nous invite à manger. Il fait faim. Qu’on le veuille
Ou non, ou prou, toujours il faut se sustenter.
Par son menu rustique, on se laisse tenter :
Quiche aux gésiers confits, patates rissolées,
Un bio poulet fermier, salade des allées,
Le dessert, un café, ah, le bon déjeuner !
Déjeuner au grand air toukommçui de Manet.
Le collégiale de La Romieu : je visite.
Il fait beau, il fait bon, il fait bleu, j’ai la frite.
Et j’arpente le cloitre où leur dieu n’est qu’amour,
Et je grimpe, vainqueur, sur la plus haute tour…
Passé rude et glorieux, souffle des vieilles pierres,
Les anciens bâtisseurs de ces lieux de prières
Connaissaient leur métier et maîtrisaient leur art,
Mais ils aimaient bien plus le vin et le canard.
Ô village gersois : exigu Larresingle,
Aux remparts empierrés que le vent griffe et cingle,
Larresingle étriqué, village fortifié,
Tout petit mais costaud, à Sigismond dédié,
Tu fus tant convoité, lieu de tant de batailles,
Par de fiers chevaliers portant cotte de mailles.
Forte pluie à minuit et ce jusqu’au matin,
Avec coups de tonnerre, en fond, dans le lointain.
C’est une aurore moite et grise qui chemine.
Sur les fils, étendu, le linge dégouline.

Ce onze août au matin, quand je suis arrivé,
Serein, béat, confiant, pour le bain activé,
L’eau manquait à l’appel : c’était la panne sèche.
Y’avait concentration de curistes revêches,
Pimbêches de tout poil, cagneux mal embouchés…
Pour une pompe ayant quelques vices cachés
L’ordre fut chamboulé. Le curiste rechigne,
Refuse l’anarchie, aime la discipline.
Le moindre changement l’atterre et lui fait peur,
Et rien ne doit troubler son aise et sa torpeur.
Il est des gens au caractère un peu fossile,
Rétrograde et borné, humide et difficile.
Donnez-leur, ô quelqu’un, de la maturité,
Le rejet du Sarkisme et de sa fatuité !
Donnez-leur, je vous prie, un peu d’intelligence,
Et l’amour de la boue et l’amour du silence.
Comme tous les matins, sous l’arcade de bois,
Nous attendons dix heur’s. On discute et je bois
De l’eau, bien entendu. Et quand arrive l’heure,
Le Vieux se précipite, y’en a même qui pleure,
Qui vous bouscule un peu pour être le premier,
Les plus vioques surtout aiment bien grappiller
Une place, sournoisement elle vous double,
La bouche en cœur, rien ne les trouble.
Ah ! Salope de vieille au piteux oripeau,
Tu pourras bien tricher, la Mort aura ta peau !

Le douze, on part à pieds, sans écouter les bardes.
Au sortir de la cure, il pleut des hallebardes.
Ô temps qui nous dévaste ! On arrive trempé,
Trempé de chez déluge, au logis occupé.
Tous nos plans sont à l’eau, c’est le cas de le dire.
A l’eau, le pique-nique, et la joie et le rire,
A l’eau, les monuments et Camille Claudel…
Quand il pleut dans le coin, c’est vraiment le bordel.
A l’eau, visite d’Auch et de Peyrusse-Grande !
On se rabat sur les tomates de Marmande.
Un filet de ciel bleu palpite à l’horizon.
Les feuillages du bois et les fleurs du gazon
Regorgent d’eau de pluie après cette rincée.
Pour tous les maux, la cure est une panacée !
Les pneus de la Focus crissent sur les cailloux
Comme des mains qui font un travail large et doux.
Je m’en vais à Estang acheter de la viande,
De la chair à saucisse, hé quoi, de la provende !

Pour une bonne cure, il faut être assidu.
Notre dernier tronçon est déjà bien mordu,
Et la fin du séjour dévoile son visage ;
Il nous faudra refaire, à l’envers, le voyage.
Depuis trois jours, Mon Oncle est seul en son peignoir :
Partis les deux pépés qui tenaient le crachoir,
Obligé de parler à de vieilles mémères,
Il regrette le temps d’avec ses deux compères.
- C’était mon dernier jour, leur dit-il déconfit,
Trois semaines de cure, à la fin, ça suffit !
Puis il parle des morts, ceux de quatre-vingt-onze,
Ceux dont le souvenir est gravé dans le bronze.
- Onze vieilles et vieux, asphyxiés. - Brûlés vif ?
- Holà là, brûlés vif c’est peut-être excessif !
J’étais là, crache-t-il, et je sais tout du drame.
Oui, je devais venir, mais les Thermes, madame,
M’ont écrit une lettre annulant mon séjour.
- On est mal surveillé. – Y’a du contre et du pour !
- Moi, j’ai fait un courrier, au dirlo, pour me plaindre.
Il y a de ces vieux qui ne savent que geindre.
Curistes, corps légers, vous ne sauriez briguer
Le devant de la scène et vos maux alléguer.

Ce soir, à Cazaubon : grande course landaise,
Vaches pour les sauteurs. - C’n’est point de la fadaise,
C’est ce que dit, fiérot, tout bon Cazaubonnais.
Pour y participer, faut n’être pas benêt.
Mais… en fait, on choisit de rester au domaine
Pour voir le Docteur House à la télébredaine.

Le mauvais temps s’installe. Il fait gris, il fait frais.
L’endroit, sous un ciel lourd, n’a plus aucun attrait.
Cependant, cette nuit, avec sa lune ronde,
Etait belle. Voilà, maintenant, le ciel gronde.
La cure doit, quoiqu’il en soit, continuer.
Ce n’est pas le moment, mon vieux, d’éternuer.
En début de séjour, - Pour lui, tiède, la boue !
A dit le médecin, et quand, du temps, la roue
Vient à l’illutation, toujours le préposé
« Boue tiède » me dit-il ! – Bout tiède, c’est osé !
Je pourrais vous prouver aisément le contraire,
Si vous vouliez, madame, ici, me laisser faire !
P’tit bout, à la rigueur, mais bout tiède, allons mais !
Je ne suis pas de ceux qui reculent - jamais !
Pluie, orage et crachin, la mi-août est trempée !
- L’été s’en est allé, dit la vieille pépée,
Dans le box d’à côté. Fin de l’illutation,
Je me lève et me rince avec ostentation.
Barbotan a la foi, du moins en a la mine
Et sa grande science en jets d’eau se termine.

Quinze août, enfin, voilà le vrai soleil d’été !
Plus que deux jours de cure, il faut en profiter
Au maximum avant que l’ostéoporose
Me grignote les os et que l’ardente arthrose
Me brûle de douleur – prémices de l’enfer !
Ô vieillesse ennemie, amie à Lucifer !
Les pompes, ce matin, des douches pénétrantes
Ont tari : c’est la panne ! Ô pompes défaillantes !
Et la file d’attente, à vue d’œil, a grossi :
Un enchevêtrement de vieux bien réussi !
Ce vendredi quinze août, c’est l’antépénultième
Jour de cure. Et pour vous, messieurs, le combientième ?
Depuis cinq jours au moins, je pisse dans mon bain,
Je pisse sous la douche sans la tenir en main.
Ô plaisir savoureux du sexe aux roubignolles,
La couille à l’air, on aime bien fair’ les mariolles.
Le bain, les jets, la boue : agréable refrain,
Aimable ritournelle aux arrêtés d’airain.
Au terme, on est content comme au sortir d’un rêve,
On se retrouve alors clair et net, plein de sève.
On s’en retourne à pieds au logis du Beroy,
La verte voie est belle et je m’en sens le roy.
Mais voilà qu’à midi, terminé la lumière
Et le soleil d’été. Et le ciel ? Serpillière !
De l’eau ! De l’eau ! De l’eau ! En veux-tu ? En voilà !
La nue orne ses draps d’un sacré falbala.
Putain d’été gersois où c’est qu’on se les gerce !
Heureusement que l’armagnac y est en perce.
Quinze août versatile. On court à Gabarret
Pour acheter du floc, mais c’est un coup d’arrêt :
On trouve la Maison du Gabardan fermée.
On cueille de la prune, en évitant l’ondée,
Qu’on fera, ce soir, cuire – ah, fruit contrevenant ! -
Confiture et compote et tarte à l’avenant.

Ce samedi seize août, l’on roule et l’on visite :
Château de Lavardens. La foule parasite
Est ici ; tout ce monde se presse à l’autel
Pour une exposition sur Camille Claudel,
Ou plutôt sur son œuvre. Admirables sculptures
Que ces bronzes montrés comme des sépultures !
Etreinte sensuelle, extase et volupté,
Rodin n’a rien compris à sa simplicité.
A Fourcès, Anne achète et l’ail et l’échalote
Pour faire la salade en juste matelote.
Ah ! matelote, on aime bien mettre de l’ail
Dans la salade, hein dis ? – Oh oui ! ça fait un bail !
Encore à Gabarret, comme à l’accoutumée,
On trouve la Maison du Gabardan fermée.
Quand pourrons-nous, Seigneur, acheter notre floc ?
Un miracle sinon je te renie en bloc.
A l’heure ou l’horizon se pigmente de sombre,
Les femm’s vont au ciné (pour faire un peu du nombre) :
Bienvenue chez les ch’tits, le film de Danny Boon,
Tandis que nous les zomm’s, nous hurlons à la moon.

Promenade tranquille au long de la Voie Verte :
Les femmes vont (sans nous) d’un pas ferme et alerte.
Et jusqu’à Gabarret, cela fait du chemin,
Mais c’est un plat chemin qui n’a rien d’inhumain.
Peu après, Claude et moi, nous partons en voiture
Pour vivre en sens inverse un bout de l’aventure.
Nous avons découvert l’Auberge des Chasseurs
Au village landais d’Herre – pour connaisseurs !
Repas dominical d’une grande finesse
Où le gras, le légume et la viande-tendresse
Nous réjouissent l’âme et le gros intestin.
Mourons de trop manger si c’est notre destin,
Mais ne venez jamais picorer notre assiette
Curistes de mes deux, même pas une miette,
Ou gare à votre cul, gare à vos abattis,
Et gare à votre groin de nouveaux convertis !
A pieds, le ventre plein, nous refaisons la route
Pour, de notre bedon, maîtriser la déroute.

Le soleil brille plat dans le ciel délavé.
Et puis le dernier jour de cure est arrivé :
Le dernier tour de piste et le dernier vestiaire,
Je quitte sans regret ce drôle de bestiaire.
Complètement nouveau, le troupeau de curistes,
Visages renfrognés, mines pâles et tristes,
Reprend d’entre nos mains le thermal étendard.
Adieu donc Barbotan, c’est demain que l’on part,
Le mardi dix-neuf août, adieu les champs moroses.
On reviendra, bien sûr, c’est dans l’ordre des choses.
Je décoche un coup d’œil (un dernier) aux curistes ;
La salle est surchauffée et pleine de lampistes.
Je sors, j’attends sous l’arche où, pâles, deux nanas
Discutent des bienfaits que portent l’ananas
Et l’eau de Barbotan. – J’en bois, par jour, un verre.
Ne forcez pas la dose, il n’est pas nécessaire
D’en boire plus. Très bien docteur, que je réponds.
Entre le verre d’eau et l’ananas, je fonds.
- Vous avez de la chance, opine l’autre dame,
Moi, j’ai beaucoup de mal à maigrir, un vrai drame.
Et blabla, et blabla… Stop ! Assez ! Je m’en vais,
Je fuis, je capitule avant d’être mauvais.
Je rentre dans le hall. A l’accueil, je vais rendre
Ma carte de parking. Que nous faut-il entendre !
Grand ménage et achats de viande et de lapin,
De floc, de souvenir, de confits et de pain…
Tout cela sent la fin, adieu, adieu la cure,
Adieu les bains de boue et autre sinécure.

Nous partons, nous quittons cette ville et ses gens,
Il est vrai que certains avaient de l'entregent.
Temps gris pour le départ, un temps pour otarie !
A six heur’s quinz’ du mat’, direction boucherie :
Filets mignons de porc, côtes de porc, de veau,
De la saucisse fraiche et du méouss’ nouveau.
Epique chargement de notre noir carrosse.
Dernier coup de chiffon, un café, je me brosse
Les dents, c’est parti ! Adieu douce maison
De cure et de ripaille et tendre pamoison.
Adieu canard confits et floc blanc de Gascogne,
Adieu terroir amène... On part, le Gers s’en cogne !

La cure, c’est bien beau, mais le ventre c’est mieux,
Et c’est un des derniers plaisirs qui rest’nt aux vieux.
Je vous dis donc tout net, Barbotain, Barbotaine,
Vive donc à jamais notre bonne bedaine !


Accueil - Entrelacs